Paru paru dans psychologies.com
Depuis de 11 mai, de plus en plus de salariés retrouvent le chemin du bureau. Si on peut éprouver un certain soulagement à sortir enfin du domicile familial, les appréhensions sont aussi nombreuses. Difficile de faire abstraction des deux mois passés en confinement. Faut-il s’inquiéter si on se sent en décalage avec sa vie professionnelle ?
Les huit semaines de confinement ont bouleversé notre quotidien, et la sphère professionnelle n’a pas été épargnée par l’éclatement brutal de nos routines. Pour certains, le télétravail a été une révélation. Pour d’autres, ce fut un cauchemar. Quelle que soit la manière dont s’est déroulé notre confinement, le retour au travail ne peut pas se faire sans prendre le temps d’un bilan personnel de notre expérience.
"La rupture provoquée par le confinement a eu des conséquences sur le psychisme, souligne Agnès Bonnet-Suard, psychologue spécialisée dans la qualité de vie au travail et la prévention des risques psycho-sociaux. Une certaine distance s’est créée par rapport à notre activité. C’est normal, et même inévitable." L’enjeu à l’heure de la reprise est donc de réussir à faire un bilan de la période passée pour repartir sur des bases saines.
Prendre de la distance ou prendre du recul ?
"Il y a eu un éclatement du collectif, la disparition de la composante humaine dans certains postes et de manière générale, la perte de la dimension affective que l’on peut avoir vis-à-vis de son travail, liste la psychologue. Cela a pu être mal vécu. " On peut ainsi avoir l’impression que quelque chose s’est cassé dans notre rapport au travail. En réalité, c’est que nous avons été obligés de réorganiser nos quotidiens et de redéfinir la place du travail dans nos vies.
De plus, "sans facteur humain ni valeur émotionnelle, le travail s’est concentré sur l’activité. Cela peut créer un contraste perturbant avec la vision que l’on en avait antérieurement". Immanquablement, se pose alors la question du sens. C’est d’autant plus vrai que nous avons été libérés de certaines contraintes matérielles, notamment les temps de transports : "nous n’étions plus dans le feu de l’action. Or, si quelque chose se libère en terme de réalité physique, on peut se remettre à penser."
C’est au moment où l’on commence à s’interroger sur le sens qu’émerge la prise de recul. Cette dernière implique d’analyser le retour d’expérience, "de prendre de la hauteur pour comprendre ce que l’on peut en tirer pour soi et développer un autre point de vue". On questionne alors son engagement et son rapport au travail : des choses qui allaient de soi ne nous conviennent plus.
Coup de mou ou vrai décalage ?
On peut continuer à apprécier son travail tout en ayant ouvert les yeux. "Notre engagement en sera modifié, concède Agnès Bonnet-Suard, notre investissement sera différent. Ce n’est pas qu’on n’y trouve plus de sens, mais on le remet à sa place dans nos vies."
Cette "juste place" est personnelle : chacun en a une définition propre, mais elle implique forcément une nouvelle répartition du temps entre les sphères privée et professionnelle.
Néanmoins, pour que cette nouvelle donne soit réellement bénéfique, il est nécessaire d’avoir poussé la réflexion plus loin que des questions de logistique. "Pour s’engager dans son travail, il faut que ce soit plus qu’une question d’argent, précise Agnès Bonnet-Suard. Nous avons besoin d’enjeux imaginaires raisonnables". Autrement dit, pour éviter une dissonance qui peut nous épuiser psychologiquement à plus ou moins long terme, nous devons trouver dans notre métier des valeurs qui nous motivent et donnent du sens à ce que l’on fait.
"Bien menée, cette réflexion peut générer une transformation profonde, note la psychologue, qui précise aussitôt : ce n’est pas la même chose qu’un changement de vie radical. Si c’est pour certains la bonne solution, ce peut aussi être une fuite en avant qui ne résout rien. " Plus simplement, une transformation, c’est une redéfinition de son équilibre personnel. "Cela prend du temps. Nous sommes encore en train de digérer ce que nous avons vécu ces derniers mois. Les solutions alternatives n’ont pas encore toutes émergé."
En cette période de post-confinement, il est donc normal de ne pas réussir à reprendre le travail comme avant. Ce n’est d’ailleurs pas vraiment souhaitable, estime Agnès Bonnet-Suard : tout bouge autour de nous, il serait vain de chercher des repères qui ont sauté.
"Ce n’est pas parce qu’on n’y arrive pas qu’on est en échec ! On n’a rien raté, on apprend à bouger avec le mouvement", rassure-t-elle. D’ici deux ou trois mois, il sera temps de faire un bilan de ce printemps pas comme les autres.