Article paru dans psychologies.com
Le confinement, qui est entré dans sa sixième semaine, devrait bientôt toucher à sa fin pour la majorité de la population. Après plus de 50 jours d’enfermement, vous avez peut-être l’impression de rêver davantage. Vous n’êtes pas seul dans ce cas. Si vous posez la question autour de vous, il y a fort à parier que vos proches auront fait le même constat : depuis le confinement, nos rêves semblent plus intenses, voire plus inquiétants. Comment l’expliquer ? Isabelle Arnulf, neurologue tente de donner quelques réponses.
Le sommeil, trop souvent négligé.
Isabelle Arnulf, neurologue et professeure de médecine à l’Université Pierre et Marie Curie-Sorbonne, publié initialement dans The Conversation.
Tout au long de notre vie, le sommeil constitue cette parenthèse majeure pendant laquelle notre cerveau se construit, se répare, élimine les déchets et prépare nos lendemains. Hippocrate, déjà, considérait que bien dormir est l’une des clés de la santé, avec une alimentation saine, un exercice physique régulier et une sexualité heureuse.
Les connaissances actuelles lui donnent raison : de l’élimination des déchets au renforcement des défenses immunitaires en passant par le maintien d’une bonne humeur ou la consolidation de la mémoire, le sommeil joue un rôle dans bon nombre de processus physiologiques majeurs. On est si bien après une bonne nuit de repos !
Pourtant, notre sommeil est souvent malmené par nos obligations, quand ce n’est pas par nos loisirs. Celles et ceux qui doivent, chaque matin, se lever tôt pour faire une heure de route afin de se rendre sur leur lieu de travail se privent souvent d’un morceau de sommeil.
L’usage massif des écrans entraîne quant à lui une restriction du sommeil chronique dont les conséquences se font sentir à plus long terme : augmentation de l’obésité, du risque de diabète et d’hypertension.
Ce léger manque quotidien de sommeil affecte notre vigilance et notre attention, ce qui a son importance en conduite automobile par exemple. Or, ce déficit n’est que partiellement rattrapé par les grasses matinées du week-end.
En confinement, nous dormons plus.
Depuis le début du confinement, de nombreuses personnes ont pu apprécier ce plaisir d’ordinaire réservé à la fin de la semaine ou aux retraités : dormir une heure de plus. Le télétravail a mis fin, pour ceux qui ont pu y avoir recours, au mouvement pendulaire quotidien. Autant de temps supplémentaire pour se reposer !
Qui plus est, dans les villes les nuits sont plus calmes. Les bruits de voitures et de motos qui perturbaient le silence se sont faits plus rares, le matin on entend enfin les oiseaux chanter en pleine ville… Conséquence : le sommeil est moins interrompu. À l’hôpital, certains de nos malades vont mieux, car ils sont plus reposés. Or le souvenir que nous gardons de nos rêves est fortement corrélé avec le nombre d’heures de sommeil que comptent nos nuits.
Le matin, l’allongement d’une heure de sommeil que nous procure le confinement profite surtout au sommeil paradoxal, la phase la plus riche en rêves. Les plus longs épisodes sont réalisés en toute fin de nuit : ils peuvent alors durer entre 30 et 60 minutes. En conséquence, en confinement les Français rêvent plus, un peu comme en vacances, et leurs rêves sont longs, comme l’a montré récemment Perrine Ruby, chercheuse à l’Inserm, à Lyon.
Ces rêves sont-ils différents de nos rêves habituels ?
De quoi sont faits nos rêves ?
Qu’y a-t-il dans nos rêves de sommeil paradoxal, d’ordinaire, quand on n’est pas confiné ? Les grandes collections de rêves révèlent que le contenu de nos aventures onirique est plutôt ordinaire, surtout visuel et auditif. Les émotions y sont nombreuses, mais plus souvent négatives (peur, colère, tristesse) que positives. Nous y avons de fréquentes interactions humaines, mais peu de sexualité. Et ces contenus prennent massivement leur source massive dans notre quotidien : nous y croisons nos proches, nos collaborateurs, nous évoluons dans nos décors familiers, y exerçons notre métier, y revivons nos soucis.
Les événements banals de la veille et l’avant-veille y prédominent, mais sur un mode préoccupé, légèrement dramatisé. Cette continuité entre le réel et le rêve constitue l’étoffe de la majorité de nos rêves. Même s’il y a quand même, parfois, des bizarreries, des mondes jamais entrevus, des actions jamais vécues. Qui n’a jamais expérimenté en rêve le plaisir de voler ? Ces étrangetés sont peu nombreuses, cependant elles nous marquent durablement et confèrent au mot "rêve" sa dimension extraordinaire.
Nos rêves confinés vont-ils chercher ce qui nous manque, comme le pensait Freud ? Privé de notre liberté de mouvement, de nos proches, rêverons-nous de grands espaces, de sociabilisation, ou de la nourriture que nous ne pouvons plus nous procurer ? Pas sûr : dans les années 1970, le chercheur californien Bill Dement avait privé des personnes d’eau pendant 48 heures pour voir si cela ferait apparaître des fontaines dans leurs rêves. Cela n’avait pas été le cas.
Alors, de quoi rêve-t-on en confinement ?
De quoi rêve-t-on en confinement ?
Précisons avant tout que nous ne parlerons ici que d’anecdotes et d’expérience clinique, pas encore de science : pour cela, il faudra attendre les résultats des études bien contrôlées qui sont actuellement en cours.
Le contenu des rêves confinés est variable : si la vie quotidienne récente et les proches ont toujours fait partie inhérente de nos rêves, et s’il y a bien quelles évasions mentales dans de belles campagnes, la menace du virus, qui flotte autour de nous, qui envahit nos journées, nos écrans (et pour nous, médecins, notre activité à l’hôpital), envahit aussi notre monde onirique.
Depuis le confinement, les visages masqués et les tenues bleues des soignants sont apparus dans les rêves de nos patients. Nombre de personnes, et pas forcément les plus stressées, se réveillent brutalement la nuit avec la sensation de suffoquer, d’avoir de la fièvre, ou d’échapper de justesse à un scénario catastrophe. Ces mauvais rêves sont très classiques en situation stressante, et accréditent l’une de théories récentes sur les fonctions du rêve : simuler la menace de façon virtuelle, pour mieux y faire face le jour.
Ainsi, les étudiants en médecine de Sorbonne Université rêvent-ils quasi tous, la veille du concours de médecine, d’y échouer : ils arrivent en retard, ils sont brutalement atteints d’appendicite, ils ne trouvent pas le chemin de la salle d’examen, ils ne comprennent plus les questions ou ignorent les réponses. Pourtant, nous avons montré que plus ils échouent en rêve, meilleures sont leurs notes au concours. Comme s’ils étaient moins stressés en conditions réelles après une telle nuit. Comme s’ils avaient anticipé, tels des joueurs d’échecs, les mauvais coups possibles du sort.
Ces rêves de difficultés et d’échec sont légion dans chaque profession : l’acteur oublie son texte en rêve avant une première, le sportif n’a pas ses baskets la veille d’une épreuve olympique, le chauffeur de taxi ne retrouve plus les rues dans ses rêves. Un virus menace l’humanité : l’humanité en rêve. Une façon, aussi, de le combattre.