Le clivage est-il aussi net qu’on veut bien le prétendre ?
Si vous deviez vous prononcer sur les causes du chômage que connait la France actuellement, diriez-vous plutôt que c’est la faute de la politique menée par les différents gouvernements depuis plusieurs décennies, ou bien que c’est la faute des chômeurs eux-mêmes qui ne font aucun effort pour s’en sortir ?
Si vous avez opté pour la première explication, vous êtes plutôt de gauche; si c’est la seconde proposition qui a retenu votre approbation, alors, vous êtes plutôt de droite… Différentes études montrent en effet que les électeurs de droite ont tendance à avoir recours à un principe causal nommé « attribution interne » (c’est la responsabilité de l’individu qui est engagé) alors que les électeurs de gauche ont tendance à proposer une explication qui fait la part belle aux facteurs externes (en l’occurrence, les différentes mesures politiques qui ont échoué à éradiquer le chômage de masse).
Le vocabulaire utilisé pour évoquer les problèmes de société est également différent selon l’opinion politique que l’on défend : l’électeur de droite fera volontiers référence aux personnages célèbres (De Gaulle par ex.), aux idéaux (la patrie, les valeurs, etc.) ou encore aux personnes qui se situent au coeur des enjeux (la famille, les parents, les fonctionnaires, les enseignants, etc.) tandis que l’électeur de gauche utilisera un vocabulaire emprunté à l’analyse (concept, classe, doctrine, théorie, éléments, système, etc.) ainsi qu’au registre socio-économique (capitalisme, conditions historiques, enjeux, etc.) où l’impact de l’individu est relégué au second plan.
En d’autres termes, l’électeur de droite cherche à expliquer le monde en faisant appel à la psychologie de l’individu, à sa responsabilité directe face aux événements qu’il vit au quotidien (c’est lui qui est responsable ou non de peser sur son destin), tandis que l’électeur de gauche fait appel à des notions plus abstraites (considérations socio-culturelles) qui minimisent l’implication de la personne (elle n’est qu’un rouage du système, elle est obligée de le subir).
Ces marqueurs idéologiques se retrouvent ainsi dans un certain nombre de conduites qui signent l’appartenance à tel ou tel camp.
On les retrouve également à l’échelle des populations : une étude menée au cours des années 1990 a ainsi montré que les Américains (culture fondée sur l’individualisme) favorisent l’explication « dispositionnelle » (c’est la « disposition » de l’individu, c’est à dire sa psychologie, sa personnalité, ses traits de tempérament qui déterminent avant tout ses actes) tandis que les Chinois (imprégnés de culture collectiviste) préfèrent l’explication « situationnelle » (ce sont les déterminants sociaux et culturels qui expliquent le comportement de l’individu). Cette étude montrant au passage que ces modes d’attribution sont acquis et non innés puisque largement influencés par la culture de référence.
Il existerait donc un mode de pensée propre à chaque camp politique (en l’occurrence, ici, entre la droite et la gauche) ? Les choses ne sont pas si simples ! Ainsi, une étude portant sur les électeurs de gauche a montré que ces derniers auront tendance à avoir recours à l’explication situationnelle seulement s’ils pensent explicitement au fait qu’ils sont de gauche, (par ex, lorsque la question comporte le préambule : « En tant qu’électeur de gauche, pensez-vous que… »).
En revanche, lorsqu’ils n’y pensent pas, ils se rapprocheront volontiers de l’explication dispositionnelle (comme les électeurs de droite). En d’autres termes, le mode cognitif qui permet de traiter l’information serait spontanément de type dispositionnel, d’une part parce qu’il est plus simple à manipuler (il ne demande pas une analyse approfondie du contexte) et d’autre part, parce qu’il représente l’élan majoritaire à l’intérieur de nos sociétés occidentales globalement individualistes. Il semblerait que ce soit le fait d’activer le concept « gauche » qui rappelle l’individu à son devoir de fidélité idéologique et donc, sa soumission aux idées défendues par son parti. Conclusion: la ligne de partage entre les deux partis (du point de vue de ce trait « dispositionnel » vs « situationnel ») n’apparait pas aussi nettement dès lors que l’appartenance à l’un ou l’autre camp n’est pas clairement revendiquée (en l’occurrence, l’appartenance au camp de la gauche).
Si nous tirons les enseignements de ces résultats au regard de l’élection présidentielle qui se profile à l’horizon, il est clair que le clivage droite-gauche (et donc la revendication idéologique propre à chaque camp) a d’autant plus de probabilités d’advenir (du point de vue cognitiviste en tout cas) que les concepts évoqués par chaque camp seront fréquents: plus les stéréotypes liés à chaque position idéologique seront identifiables et nombreux, et plus les tenants de chaque camp auront tendance à se reconnaitre et à se réclamer du camp qui est le leur, et donc, au moment de mettre le bulletin dans l’urne, plébisciter (sans trop réfléchir) le candidat supposé les représenter. Sauf si le discours propre à une famille politique n’est pas reconnu et identifié immédiatement car dilué au sein de voix discordantes.
On comprend mieux maintenant pourquoi les partis politiques cherchent à arriver unis sur le terrain électoral : l’électeur n’aime pas la dispersion car elle va contribuer à brouiller les pistes, et donc, nécessiter un travail cognitif dont il se dispenserait volontiers, même lorsqu’il s’agit de choisir un représentant politique responsable de l’avenir de la nation pour les années à venir…
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